Depuis « le syndrome du champ de blé » (1946) et l’accident du père, Joriot est fasciné lorsque ça coince. Alors il lève la tête et guette ces mécanismes étranges, parfois plus de quatre cents tonnes de métal porté par l’intelligence humaine. Lorsque l’avion s’abime, il patiente le temps qu’il faut, quelquefois cinquante ans, pour un rendez-vous avec ces ratés de l'histoire. Il pense son oeuvre hors convention, à l’ombre de la pensée d’Henry Miller «il n’y a pas d’évolution sans destruction». Le voilà dans les flancs des massifs granito-schisteux ou arêtes acérées avec quelques mètres en trop. Il visualise et s'approprie en archéologue aéronautique ces fragments magiques à l'état brut tombés comme des météorites dans leur sépulture montagneuse. Face à lui, les divinités modernes, vitesse, technique, énergie colossale et valeur, vulgairement vautrées dans une apologie des chocs contre ces roches immortelles.
Puis il fouille les mémoires collectives, s'imprègne du passé de ces vestiges, en approfondit l’énigme et l’épopée. Dans son atelier, habité par toutes sortes de colères, dans la certitude de ses erreurs, il se collette avec le matériau imperator récalcitrant. Ca dure longtemps, c’est chaud, c’est noir, ça fume, Joriot accule le destin funeste contre son enclume. Il en découd avec l’acier, boxe l’histoire anthracite en offrant une deuxième chance à ces débris sublimes.
Face à la démesure de nos temps modernes, Joriot se dresse en franc tireur luttant contre l’oubli. Et ses sculptures, violentes et sereines, douées d’une puissante poésie angulaire, prolongent la vie de la matière.